La vie La mort

Quels mots, quels regards et quels cris étouffés pourraient conduire un être vers sa fin et légitimer ainsi son droit de vie et de mort sur sa propre existence? Aucun direz-vous… alors n'avez-vous sans doute jamais atteint les limites de la raison et la frontière pestilentielle du reniement. Sans doute n'avez-vous jamais été votre propre geôlier en acceptant d'entrer dans un moule qui vous oppresse à petit feu, année après année, rôle après rôle. J'avais accepté volontairement de jouer ce drame masculin pour ne pas heurter l'amour de mes proches jusqu'au jour où, face à un mur de silence et de honte, j'ai réalisé que s'ils m'avaient réellement aimée, ils ne m'auraient pas obligée à être l'acteur d'une vie qui n'est pas la mienne mais ils m'auraient aimée pour ce que je suis au fond de mon âme. Ils m'avaient menti plus que je ne m'étais mentie à moi-même. Comment continuer un tel mensonge? Comment vivre une vie à moitié en ignorant cette autre partie de moi qui s'éteignait sans avoir jamais vécu? Cruel dilemme. Choisir entre deux souffrances qui m'arrachaient le cœur: vivre ma différence et entraîner mes amours dans une vie de rejet, ou refuser ma différence et oublier de vivre. Quelle que pouvait être ma décision, le naufrage s'annonçait. Chaque minute à vivre devenait un supplice. Mon esprit et mon âme étaient submergés par la douleur. C'est dans un de ces moments de désespérance que mon jugement a explosé. J'ai laissé la mort s'approcher de moi. Comment vous avouer que les quelques minutes qui ont précédé mon départ m'ont apaisé presque instantanément. Je me suis sentie enveloppée par un bonheur immense qui effaçait toutes mes douleurs. Mon cœur était enfin en paix après quarante cinq années de tourments. Je vivais intensément mes premiers instants de sérénité et c'est à la mort prochaine que, paradoxalement, je les devais. Puis le silence s'était installé…

La mort n'a pas voulu de moi et il m'a fallu continuer à survivre. Il est impossible de sortir indemne d'une telle expérience. Vous vous regardez vivre en vous demandant toujours si c'est bien vous. Rien n'avait changé, sinon qu'une nouvelle honte, celle de l'image du suicidé égoïste et lâche, était venue s'ajouter à celle de ma différence. Il m'aura fallu seulement deux années pour sombrer à nouveau dans un monde qui, lui, n'avait également pas évolué. Je me suis endormi à nouveau dans cette paix de l'âme. La vie a parfois des desseins qui nous étonnent puisqu'elle m'a une nouvelle fois rappelé à elle. J'ai réellement eu l'impression durant les mois qui suivirent mon réveil, de vivre en dehors de mon corps. A nouveau, je me regardais vivre. J'étais deux, celui qui avait survécu et celui qui n'avait pas encore accepté son retour. J'avais le sentiment que ma vie ne m'appartenait plus jusqu'au jour où j'ai croisé le regard d'une femme qui allait émerveiller mon existence. Son amour sincère et délicat m'a offert le plus beau des cadeaux, le droit d'être moi-même. Le bonheur est entré dans ma vie et chaque jour est un nouvel enchantement, pourtant l'idée qu'un jour, la mort puisse à nouveau me séduire ne me quitte jamais. Je me sens coupable de telles pensées mais je ne peux les dominer. La mort a été la première compagne à avoir entendu ma souffrance et à m'avoir accordé la paix. La vie a été cependant la plus forte et je n'ai plus peur de vivre car je ne crains plus la mort.

Ne jugez pas celles et ceux qui commettent ce geste irréparable. S'ils le perpètrent, c'est qu'ils, ou elles, ont déjà atteint ce mur immense et lisse qui leurs semble si infranchissable. Que votre culpabilité de n'avoir rien vu venir ne les accable pas plus s'ils en réchappent mais réjouissez-vous plutôt de les revoir auprès de vous. Ecoutez ceux que vous aimez, le malheur se tait.

17 novembre 2008

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