Entretien avec un Psy

Je m'étais promis de ne plus écrire d'article et pourtant me voilà à nouveau devant une page vide qui me séduit depuis quelques jours. Il se trouve qu'un événement récent vient de m'offrir une occasion de l'inonder de mots. Cela fait des mois que je m'étais fait l'ardent avocat du corps médical et notamment de celui qui me suit depuis le début de mon parcours de vie. Je ne pourrais jamais assez les remercier d'avoir su m'accompagner avec cœur jusqu'à aujourd'hui. Je ne comprenais pas l'agressivité de certains transgenres et surtout transsexuelles vis-à-vis du corps médical d'autant que je concluais souvent que nous étions libres de choisir notre interlocuteur. Il se trouve que dans le cadre d'une démarche administrative, un organisme privé a demandé l'avis d'un psychiatre, expert auprès des tribunaux. Je n'avais pas encore eu affaire à eux. Voici que l'on me propose un premier candidat. Pas de chance, je l'avais déjà sollicité dans ma quête du moi et je l'avais fuit comme la peste. Petite lampe, petite table et petit esprit! Le second candidat a été rapidement éliminé car il n'était pas disponible. Le troisième fut le bon. Son honnêteté et son humilité, qui l'honorent, l'ont invité à demander un sapiteur. Un terme juridique bien curieux qui, si on se réfère à l'origine latine du mot, doit être utilisé pour désigner un "sachant"(une personne qui sait). Ouah! J'allais être convoqué devant un maître yoda ou quelque chose de comparable. J'étais tout émoustillé à l'idée de rencontrer LA connaissance.
Me voici donc arrivée le grand jour! "Bonjour madame, j'ai rendez-vous avec le docteur …". "Prenez place, madame, il ne va pas tarder!" me répond la secrétaire fort aimablement. J'avais oublié de dire que je m'étais faite belle pour ce jour-là. Un quart d'heure après, je vois arriver un homme, costume bleu nuit sans cravate mais avec de superbes baskets, bleu flashy. "Bonjour Madame!" dit-il en me voyant et en se dirigeant vers le secrétariat. La dame lui annonça que son rendez-vous l'attendait. Je le vois alors réapparaître mais cette fois-ci son regard exprimait le doute quant à cette femme assise en lieu et place de Pascal. Je lui ai dit quelques mots qui ont rapidement mis fin au suspens…

L'entretien a duré un peu plus d'une heure. Une heure durant laquelle cet homme, que j'attendais brillant, me posa des questions telles que: "Êtes-vous labial ou digital?" en parlant de ma libido. "Pourquoi trouvez-vous que le sexe de l'homme n'est pas beau?". A cela, je lui ai répondu qu'esthétiquement on a fait mieux que ce truc poilu qui pend! Tout de go, il me répond "Sans doute mais certains sexes de femmes pendent également!". J'avoue avoir été scotchée par sa réflexion. Essayait-il de détendre l'atmosphère? Essayait-il d'être style, baba-cool? Ou était-il tout simplement un simple homme chatouillé par sa testostérone et ses blagues douteuses? Bref je vous passe, le "Vous avez reproché à votre psy ce que vous reprochiez à votre père!" d'une psychologie d'entrée de gamme. Que sait-il de ce que je reproche à mon père? Pus tard dans l'entretien je lui parle de mon sentiment de bonheur indécent que je vis avec Fabienne mais du mal de vivre que j'ai de ne plus être reconnue socialement. Là, il fit très fort! "Vous êtes finalement un "Hàns im Schnokeloch", on ne peut pas tout avoir dans la vie!". Tout ceci sur un ton désinvolte comme s'il parlait à un enfant. Areuh! Areuh! Il est vrai que ma souffrance est psychosomatique…

[J'ouvre là une parenthèse pour ceux et celles qui ne connaissent pas ce célèbre personnage alsacien. Le Hans im Schnokeloch (traduit littéralement, le Jean du trou moustique), c'est "la marseillaise alsacienne". En voici les paroles "Le Hans de Schnokeloch, a tout ce qu'il veut! Mais ce qu'il a, il n'en veut pas, et ce qu'il veut, il ne l'a pas.". (Pour info, cette chanson avait une strophe qui se tailla un succès particulier durant l'occupation nazie: "Jean du Schnokeloch dit tout ce qu'il veut.-Il ne dit pas ce qu'il pense et ne pense pas ce qu'il dit.")].

Me voici donc devenu un Hans parce que j'aime la vie et que j'en connais le prix. Je suis un Hans parce que j'aime me battre avec elle pour me sentir vivant. Je suis un Hans parce que je suis exigeant et que j'ai envie de réaliser mes rêves, parce que je veux être accepté dans la vie pour ce que je suis et non pour ce que je parais. Je suis un simple Hans pour satisfaire l'administration mais un malade mental lorsqu'il s'agit de vous recruter. Je suis un Hans parce que je suis différent et que je demande le droit à l'égalité des chances. Tiens cela me rappelle quelque chose! Beaucoup de personne n'en demandent pas tant à la vie mais sont-elles transgenres, étrangers, gros, invalides? Souffrent-elles de ce regard de rejet. Les autres vous admirent pour notre courage à nous battre mais avons-nous d'autres choix pour survivre? J'avoue à cet instant avoir eu l'envie de quitter le bureau en claquant la porte. Je venais de croiser un con magnifique, un de ceux qui provoque la colère des trans, de ceux qui en une heure vous jugent, vous classent et font fi de l'expertise de votre psy qui vous suit depuis 5 ou 6 ans. Nous nous sommes quittés sur un "Je ne sais pas ce que donnera votre dossier cela dépendra de l'humeur de celui qui l'étudiera mais vous savez les dossiers où le patient ne prend pas d'antidépresseurs est rarement défendable!" Ce fut le feu d'artifice final! Etait-ce parce qu'il n'avait même pas le courage d'avouer que c'est son rapport qui serait décisif sur la décision ultime et qu'en fait celui-ci n'irait pas en ma faveur parce qu'il estimait que j'étais un Hans im Schnokeloch et que je ne prenais pas d'antidépresseurs? Où est-ce simplement parce qu'il se plie au système mais alors dans ce cas-là à quoi sert-il?

Cet épisode me permet surtout d'aborder le sujet des antidépresseurs. Je les ai tous testés pour vous mais ce qui est grave c'est que mes tentatives de suicide ont toutes eu lieu sous antidépresseurs. Sans doute ces médicaments peuvent-ils permettre de prendre du recul dans certains cas, comme celui de permettre de passer un instant douloureux de la vie mais dans le cas de transidentité et du mal social qu'elle entraîne, aucun médicament ne résoudra la problématique. C'est la vie qui est une douleur. Ce recul permet de prendre tellement de recul que vous en oubliez l'attachement de ceux que vous aimez et qui tiennent à vous, parfois seuls remparts à un geste fatal. Vous vous voyez vivre comme un légume, incapable d'agir sur votre propre vie et lorsque cette vision vous devient intolérable, plus aucune limite n'existe. Aujourd'hui, je suis fière de ne plus être sous traitement car lorsque mon malaise sur mon utilité sociale me reprend, j'ai pleine conscience qu'il me faut aller me protéger dans un lieu sûr. Là, malgré votre refus, vous avez droit aux antidépresseurs et aux anxiolytiques car cela les rassurent, eux, pas vous. Pourtant vous acceptez de les prendre, non pas pour vous protéger de vous mais pour vous isoler de l'environnement dans lequel vous vous êtes réfugié. Pour oublier le bruit du patient, en face de votre chambre, qui tambourine sur sa porte dès 2 heures du matin dans la salle d'isolement! Pour oublier les histoires bruyantes, toutes différentes, de ceux qui arrivent mais qui déambulent dans les couloirs comme des zombis au bout de deux jours! Pour oublier les querelles entre les drogués! Pour oublier que vous êtes-là pour oublier votre souffrance… Ceux qui prescrivent les antidépresseurs les ont-ils essayés? Sans doute ont-ils lu plein d'études scientifiques qui les rassurent mais ces études ne sont-elles pas principalement publiées par les mêmes laboratoires qui les vendent? Juges et parties. C'est tellement plus facile de faire une ordonnance que d'accepter la différence de l'autre ce qui obligerait inévitabelement la société à se remettre en cause. Je vous invite à lire le livre "Antidépresseurs, la grande intoxication : ce que 5 millions de patients ne savent pas encore de Guy Hugnet aux Editions Cherche-midi (2004) ISBN2-7491-0239-1" et bien d'autres publications qui remettent en cause les antidépresseurs. Il n'y pas de fumée sans feu.

Et si vous écoutiez tout simplement les patients? Dans le cas de la transidentité, le principal malaise ne vient pas du patient lui-même mais de l'accueil que la société lui réserve. Tous ses symptômes deviennent dramatiques lorsqu'il va lui falloir affronter les cases que notre système lui a réservées. Cela s'applique intégralement à toutes les personnes différentes. Le jour où notre monde aura compris cela, certains laboratoires pharmaceutiques pourront mettre la clé sous la porte. Mais chut! Encore un lobbying auquel il ne faut pas toucher…

8 mai 2009

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